Les Cahiers nouveaux - 89

93 Orientation bibliographique Paul Delforge, La Wallonie et la Première Guerre mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative , Namur, Institut Destrée, 2008, coll. Notre Histoire Alain Colignon et Paul Delforge, Coq de Jemappes , dans Encyclopédie du Mouvement wallon , Charleroi, Institut Destrée, 2000-2001 Paul Delforge, L’Assemblée wallonne 1912-1923. Premier Parlement de la Wallonie ? , Namur, Institut Destrée, 2013, coll. Notre Histoire Une identité taillée dans la pierre. Le monument wallon dédié à Nicolas Defrecheux , dans Enquêtes du musée de la Vie wallonne , Liège, 2002-2004, t. XX, n°241-244, p. 307-346 Serge Alexandre, Joseph Rulot et Jules Brouns. Deux Sculpteurs à Herstal , dans Art & Fact. Revue des Historiens d’Art , des Archéologues , des Musicologues et des Orientalistes de l’Université de l’Etat à Liège , (1993), vol. 12, p. 124-148 les décrédibiliser. En Wallonie, personne ne veut collaborer. Les autorités d’occupation éprouvent aussi les pires difficultés à mettre en place des minis- tères wallons. Les «hauts-fonctionnaires de Bruxelles » rivalisent d’imagination pour refuser de se rendre à Namur; une vingtaine de secré- taires généraux et de directeurs (généraux) – dont la moitié recrutés en dehors de l’administration – dirigeront, de janvier à octobre 1918, près de 200 personnes, pour partie des agents venus de Bruxelles, pour une autre partie des jeunes gens sans aucune expérience et recrutés par néces- sité. Ils exécuteront à Namur des tâches adminis- tratives courantes. La carte en annexe permet de localiser six des sept ministères installés péni- blement à Namur entre septembre et décembre 1917, celui de la Justice ayant vraisemblablement trouvé place au Palais du même nom. Établis depuis juillet 1917 à la caserne du régiment d’infanterie, les bureaux administratifs de Haniel Von Haimhausen constituent le siège central des ministères wallons. Quant au Verwaltungschef für Wallonien lui-même, il a pris ses quartiers à Jambes, au château de Velaines, propriété du banquier Léon de Lhoneux. Siège administratif de la Wallonie, Namur accueille aussi un Club surnommé le Casino belge. Certains fonction- naires y logent ou y prennent leurs repas, parfois en attendant de trouver un appartement ou une maison en bord de Sambre ou de Meuse. Avec son piano et sa bibliothèque, il est un lieu de divertis- sement, de formation et de conférences, surtout à partir du printemps 1918. Tout concourt à déve- lopper durablement au confluent de la Meuse et de la Sambre une structure administrative, voire politique, que la propagande du journal L’Écho de Sambre et Meuse doit encourager. Depuis Namur, l’occupant compte aussi encourager des actions politiques en pays wallon. Il n’aura aucune audience ni auprès de la population ni auprès des «séparatistes wallons» d’avant-guerre. Après l’Armistice, il ne restera rien de cette période. Aucun monument ne rappellera le refus de contribuer à la Wallonenpolitik . Quant au principe de la séparation administrative, il est à ranger parmi les victimes de la Grande Guerre, mais personne n’ose en parler. Idée principale de La Lettre au roi de Jules Destrée, objet d’étude principal de l’Assemblée wallonne, la séparation administrative est devenue une «mesure boche». Comme l’avait prédit Maurice Wilmotte dès avril 1918, elle n’avait aucune chance de survivre, «la guerre l’a tuée et rien ne pourra la ressusciter». Dans l’Entre-deux-Guerres, quiconque souhai- tera débattre du fonctionnement des institutions belges sera assimilé à un traître, à un activiste. Aucune discussion sereine n’est possible et l’idée d’un monument n’est même pas envisagée, l’am- bitieux «mémorial à l’âme wallonne» sur lequel le sculpteur Joseph Rulot travaillait, à Liège, depuis 1895, étant même abandonné. Il faudra des an- nées pour que, sous couvert d’autonomie, puis du terme de fédéralisme, concept plus précis il est vrai, l’appel au dialogue de Jules Destrée retrouve une place dans le champ politique et que l’action wallonne cesse de pâtir de la période 14-18. Quant au lien que l’on serait tenté d’établir entre le choix allemand de Namur en 1917 et celui des années 1970 comme capitale de la Région wal- lonne, il n’a aucune consistance. Dans le dernier quart du XX e siècle, on ignore tout des motivations allemandes et de la Wallonenpolitik et le choix de Namur capitale relève alors des seules intentions et motivations (espace de construction dispo- nible, équidistance entre les villes wallonnes, mobilité, etc.) des mandataires et des militants wallons. La mémoire des ministères wallons est quasiment effacée; Namur n’en a conservé aucune trace, de même qu’il n’existe, nulle part en Wallonie, un monument à dimension spécifi- quement wallonne relatif à la Grande Guerre. En dehors des monuments (collectifs ou individuels) aux héros et aux victimes, la victoire de 1918 n’est célébrée qu’au travers de bustes ou statues du roi Albert, ou de monuments célébrant l’amitié avec la France. Ainsi en est-il du Coq de Jemappes qui revit sous le ciseau du sculpteur Charles Samuël: le 21 mai 1922, un nouveau coq est placé au sommet de l’obélisque. Il est le signe de la bonne entente belgo-française du moment. Célébrant avant tout la victoire de la jeune République fran- çaise contre l’Empire, le 6 novembre 1792, ce coq reste gaulois; il n’est pas wallon et ne se transfor- mera qu’en symbole discret d’une affirmation de l’amitié franco-wallonne. Pendant plusieurs mois, la presse allemande présente les « riches Wallons» comme les oppresseurs des «pauvres Flamands». Lors de négociations de paix à venir, le territoire wallon devra servir de monnaie d’échange, même si des alternatives – aussi nombreuses que variées – sont envisagées : germanisation des habitants, dépeçage des territoires, transfert des populations, etc.

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