Les Échos du Logement n°128

60 LES ÉCHOS DU LOGEMENT 128 L’HABITAT GROUPÉ ET LA COLOCATION AU RISQUE DE LA SAISIE MOBILIÈRE 1. Position de la question 1. Habiter ensemble, de manière groupée, n’est pas sans conséquences sur le plan du droit. On songe traditionnellement aux allocations sociales (les résidents risquant de perdre leur taux isolé pour un taux cohabitant nette- ment moins avantageux pécuniairement), à l’urbanisme (faut-il un permis pour aménager un habitat solidaire au sein d’un immeuble unifamilial par exemple ?), à la domiciliation (les habitants sont-ils à ranger dans la même composition de ménage ?), aux règles civiles du bail (en quoi consiste le nouveau régime régional de la colocation ?), etc. Ces aspects ont déjà été étu- diés 1  ; on n’y reviendra pas. Il est, en revanche, une dimension du problème largement occultée, sur laquelle on se propose dès lors de placer ici la focale : l’éventuelle saisie mobilière qui frapperait le domicile commun. On pressent tout de suite le danger : si les occupants ont chacun installé leur résidence principale dans les lieux et que l’un d’entre eux a des dettes (qui ont fait l’objet d’une condamnation en justice 2 ), l’huissier de justice est susceptible de saisir des meubles qui n’appartiennent pas au débiteur, mais à l’un de ses comparses. En d’autres termes, cette voie d’exécution forcée peut-elle viser l’ensemble des biens présents dans le logement ? Et est-il possible de se pré- munir contre ce péril ? Notons, d’ores et déjà, que ces questions se posent à peu près dans les mêmes termes, que la cohabitation résulte d’un véritable projet de vie, prenne la forme d’une colocation davantage circonstancielle ou encore 1 Pour s’en tenir à notre propre production (N. Bernard), on peut consulter, sur les allocations sociales, « La cohabitation (au sens de l’allocation de chômage) requiert davantage qu’un simple partage de toit. L’heureuse confirmation de la Cour de Cassation », note sous Cass., 9 octobre 2017, J.T. , 2018, p. 140 ; sur l’urbanisme,« De la colocation vue comme une famille : quand le droit rejoint la sociologie », obs. sous C.E., 20 avril 2017, n°237.973, Ville d’Ottignies-Louvain- la-Neuve, Échos log. , n°121, 2017, p. 52; sur la domiciliation, « Le nouveau régime de l’inscription provisoire dans les registres de la population (Loi du 9 novembre 2015 », J.T. , 2017, p. 149 et s.; et enfin, sur la colocation, Bail d’habitation dans les trois Régions , Bruxelles, Larcier ( R.P.D.B.) , 2020, p. 403 et s. 2 En effet, la saisie suppose qu’en amont, une procédure en vue du recouvre- ment de la dette ait été engagée, qui a abouti à un jugement de condamnation devenu définitif (ou exécuté à titre provisoire). Une autre hypothèse peut être la délégation de sommes prévue dans un jugement portant sur les obligations alimentaires, en cas de défaut du débiteur d’aliments. soit de nature familiale (cohabitation entre parents et enfants majeurs par exemple ou entre partenaires non mariés 3 ) ; n’est pas davantage relevante la circonstance que l’habitat rassemble des propriétaires ou des locataires. Enfin, la problématique est plus aiguë encore dans l’habitat intergénération- nel, où senior et étudiant développent généralement un mode de vie très intégré et partagent l’essentiel des espaces. 2. À qui sont censés appartenir les meubles ? a) une présomption… 2. Prouver la propriété d’un bien meuble répond, en Belgique, au pres- crit énoncé par l’article 2279, alinéa 1 er , du Code civil : « En fait de meubles, la possession vaut titre » 4 . Il exprime l’idée, cardinale dans notre système juri- dique, que le possesseur d’un meuble est présumé en être le propriétaire 5 . Cette présomption légale puise sa justification notamment dans la difficulté quasi inextricable qu’il y aurait, autrement, à établir avec certitude la pro- priété d’un meuble : le possesseur serait tenu de prouver que son vendeur était bien propriétaire de la chose en question 6 , lequel serait censé à son tour démontrer que la personne dont il la tient était déjà propriétaire, et ainsi de suite, en remontant à la source, au fil des transferts successifs… exercice 3 Une différence essentielle est à épingler s’agissant des couples mariés  : le mariage crée automatiquement entre les époux un régime légal d’indivision et de copro- priété (dont l’ampleur varie selon le régime matrimonial choisi par les époux). 4 Au 1 er septembre 2021 (et par l’effet de la loi du 4 février 2020 portant le livre 3 “Les biens” du Code civil, M.B. , 17 mars 2020), cet article cédera la place à l’article 3.24 du nouveau Code civil qui, sous l’intitulé « Rôle probatoire renforcé en matière mobilière », disposera : « En fait de meubles, le possesseur de bonne foi d’un droit réel est présumé disposer d’un titre, sauf preuve contraire ». Sur cette modification, voy. N. BERNARD, Le droit des biens après la réforme de 2020 , Limal, Anthemis, 2020. 5 Voy. entre autres Bruxelles, 25 janvier 2011, T. not ., 2011, p. 95. Sur ce prin- cipe, cf.  notamment S. Boufflette, « La possession en matière mobilière et l’ar- ticle 2279 du Code civil », R.G.D.C. , 2007, p. 79 et s., ainsi que P. Lecocq, Manuel de droit des biens , t. 1 : Biens et propriété , Bruxelles, Larcier, 2012, p. 368 et s. 6 Ou que son donateur la lui a bien donnée. Par Nicolas Bernard (professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles) et Isabelle VERHAEGEN (juriste) * * Les auteurs remercient Me Quentin Debray, huissier de justice, pour ses conseils amicaux et avisés.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTc4MDMy