Les Échos du Logement n°126

LES ÉCHOS DU LOGEMENT N°126 POLITIQUE DU LOGEMENT 08 Vivre l’exclusion du logement au féminin PAR MARJORIE LELUBRE CHERCHEUSE ASSOCIÉE – CENTRE D’ÉTUDES SOCIOLOGIQUES, UNIVERSITÉ SAINT-LOUIS, BRUXELLES Que signifie l’absence de logement quand on est une femme? Dans le cadre de cet article, nous ambitionnons d’explorer ce questionnement en identifiant les spécificités du parcours résidentiel des femmes qui se trouvent confrontées à l’une ou l’autre forme d’exclusion du logement. Dans un premier temps, nous souhaitons clarifier ce que recouvre la notion d’exclusion du logement. Une telle précision nous apparaît d’autant plus utile qu’il s’agit ici d’appréhender au mieux l’assertion selon laquelle le nombre de femmes en rue ne cesserait d’augmenter. Par la suite, nous nous intéresserons à l’organisation du secteur de prise en charge des personnes exclues du logement ainsi qu’aux effets et impacts de cette organisation sur les femmes en situation d’exclusion du logement. Enfin, nous montrerons en quoi les stratégies différenciées des hommes et des femmes pour faire face à l’absence de logement sont de nature à concourir à un phénomène d’invisibilité des femmes rencontrant des difficultés en matière de logement. Mieux catégoriser l’exclusion du logement pour mieux la comprendre, notamment d’un point de vue du genre Sans-abri, SDF, sans chez-soi, sans loge- ment… Si tous ces termes semblent recou- vrir une même réalité, à tout le moins dans le langage courant, il importe de démontrer le caractère protéiforme de l’exclusion du logement. Pour ce faire, nous nous référerons à la typologie ETHOS (European Typology of Homelessness and Housing Exclusion)  1 éla- borée par l’Observatoire européen du sans- 1 https :/ /www.feantsa.org/download/ fr___2525022567407186066.pdf. Lors de la Conférence européenne de consensus organisée en 2010, le jury pré- conisait l’adoption de cette typologie pour définir l’exclusion du logement dans toutes ses formes. abrisme en 2005. Cette typologie distingue quatre catégories conceptuelles (sans-abri ; sans logement ; en logement précaire ; en logement inadéquat), elles-mêmes réparties en treize catégories opérationnelles. Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble de ces caté- gories. Toutefois, il s’agira de s’attarder sur les deux premières catégories, «sans-abri » et «sans logement », et sur les situations ré- sidentielles auxquelles elles renvoient. Ces clarifications nous paraissent nécessaires pour nuancer une assertion – souvent mise en avant par les discours médiatiques et politiques, notamment – selon laquelle nous assisterions à une féminisation forte du sans- abrisme. Suivant la typologie européenne, les personnes sans-abri sont caractérisées par deux situations de vie: le fait de passer la nuit soit dans l’espace public, soit dans une struc- ture d’hébergement d’urgence (en Belgique, cette notion se réfère aux abris ou asiles de nuit, c’est-à-dire les hébergementsmajoritai- rement gratuits et de courte durée). Le plus souvent, les personnes sans-abri alternent ces deux situations résidentielles selon l’offre d’hébergement disponible et/ou les condi- tions climatiques. Les personnes considérées comme sans logement sont celles qui résident dans une structure d’hébergement de longue du- rée, qui sortent d’institutions, par exemple, hospitalières ou pénales, sans solution rési- dentielle, ou encore celles qui sont logées dans des logements accompagnés. Notons que parmi les structures d’hébergement de longue durée, la typologie européenne dis- tingue les structures destinées uniquement aux femmes. Les personnes hébergées par un tiers sont considérées, quant à elles, comme en logement précaire. Là encore, cette nuance est essentielle dans le parcours résidentiel des femmes. Nous y reviendrons. Ces précisions établies, il s’agit de s’intéresser aux données statistiques dis- ponibles, notamment en matière d’héber- gement d’urgence, pour interroger cette éventuelle féminisation du sans-abrisme (Lelubre, 2018 ; Lelubre, 2012). L’analyse de ces données fait ressortir deux constats principaux. D’une part, il y a une surrepré- sentation des hommes au sein des services d’hébergement d’urgence. Malgré quelques oscillations selon les années et les services considérés, la part relative des femmes hé- bergées dans ce type de structure ou iden- tifiées par les services ambulatoires (par exemple, les équipes d’éducateurs de rue) reste relativement stable et faible (autour des 20%). D’autre part, si l’on peut déceler des indicateurs d’une augmentation en nombre absolu des femmes dans ces structures, la stabilité en part relative indique que cette

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